L’Éphémère de Bourgogne, c’est une sorte d’auberge espagnole : on s’y nourrit de ce que chaque convive a apporté. Et quand l’un des convives est un aquarelliste confirmé, les pêcheurs à la mouche qui ont la chance de le côtoyer retournent chez eux plus que rassasiés. C’est ce qui est arrivé au Moucheur Masqué, après sa rencontre avec le peintre Michel Racine, l’un des fidèles de l’Éphémère de Bourgogne, quelques jours avant le reconfinement de début avril.

Féru de pêche à la mouche, qu’il pratique depuis le début des années 1980, Michel Racine fréquente logiquement L’Éphémère de Bourgogne et son grand manitou Eric Bouteiller, dont il a fait la connaissance à Rully, village de la côte chalonnaise dans lequel tous les deux résident.
Un serial no killer
Et s’il s’est essayé aux autres formes de pêche, il ne pêche désormais plus qu’à la mouche. Car celle-ci est pour lui la plus captivante. Comme la plupart des moucheurs, Michel pêche pour le plaisir. Pas pour consommer, du moins pas spécialement. Michel est un adepte du No Kill depuis très longtemps. Il a donc beaucoup de plaisir à remettre le poisson à l’eau une fois pêché. Ce qu’il aime par-dessus tout au moment de prendre le poisson, c’est le ferrage. Le combat aussi mais un peu moins. Qu’il résiste, le poisson, c’est très bien, mais il ne faut pas non plus que ça dure. Parce que plus le poisson doit combattre l’homme, plus l’homme lui retire des chances de survivre par ailleurs. Ce qu’il adore encore plus, c’est tromper le poisson, le leurrer. Tellement qu’il en a le regard qui brille derrière ses lunettes de soleil.
Un artiste, un vrai
Michel a fait les Beaux-Arts à Lyon, entre 1973 et 1979. Un cursus entrecoupé d’une année de service militaire. Son projet initial était de devenir peintre. En sortant de cette école, un peu avant de rencontrer sa femme, il a eu l’opportunité de devenir dessinateur de bâtiment, une personne chargée de dessiner les avant-projets et les plans d’exécution, dans la maison individuelle notamment, et qui appréhende le projet sur papier. C’est ainsi qu’il a fait carrière dans ce métier très spécifique, dans lequel son goût pour la création a pu se développer puisque, pratiquement, chaque projet était une création.
Dessinateur en bâtiment, Michel l’a d’abord été neuf années en entreprise, puis à son compte pendant seize ans. Travailleur indépendant, il avait un bureau, dans lequel il mariait le dessin et… la peinture – une vitrine lui permettait en effet d’exposer ses œuvres. Car jamais il n’a perdu son amour pour la peinture. Ne pouvant refuser l’offre que lui avait faite l’un de ses anciens clients de l’embaucher, il est redevenu salarié, pour dix ans. Avant de tirer sa révérence. Pour ce qui concerne cette profession en tout cas. Car c’est un retraité actif, Michel.
S’il a tâté de toutes les techniques aux Beaux-Arts de Lyon, c’est vers l’aquarelle que Michel s’est tourné. Petit à petit. Progressivement. Pourquoi ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est qu’il peint beaucoup de poisson. Et les poissons, ça a besoin d’eau. Comme l’aquarelle.
Dans les années 1990, Michel a participé à de nombreux salons de pêche (à la mouche) pendant au moins 4 ou 5 ans. Parce qu’il peignait alors énormément de poissons.
S’il en peint encore beaucoup aujourd’hui, il se consacre aussi, désormais, aux paysages.
Une fois par an, maintenant, il expose à Ornans, ville natale de Gustave Courbet, où passe la rivière de la Loue qu’il aime tant. Car Michel aime la Loue, cette résurgence du Doubs qui serpente en Franche-Comté. Et qui connait ce cours d’eau ne peut dès lors faire qu’une chose : remarquer que Michel a bon goût. Car, c’est vrai, la Loue est une rivière magnifique, un écrin. Ce n’est peut-être pas pour rien, d’ailleurs, que la Vouivre des racontotes franc-comtoises et de Marcel Aymé s’y baignerait nue.
Un Professeur-conteur
S’il pratique, parfois de façon hétérodoxe l’aquarelle, en y ajoutant quelques touches de gouache, Michel l’enseigne aussi. Du moins en temps normal. Quand il est possible de le faire « en présentiel », comme on dit désormais pour distinguer des cours « en distanciel ».
Et pour l’avoir vu faire en vrai et l’avoir entendu en parler avec passion, on se dit que ça doit être carrément génial un cours d’aquarelle avec Michel. En effet, laisse flotter les rubans lecteur et imagine-toi bien la scène. Tout en déballant son fourbi de peintre, Michel te raconte ses histoires, comme si c’était celle du Petit Poucet ou du Petit Chaperon Rouge. Il te dit très simplement que, longtemps, l’aquarelle n’a pas eu les honneurs qu’elle méritait, qu’on ne recourait guère à elle que pour préparer des toiles réalisées, elle, avec de la peinture à l’huile. Tu as l’impression qu’il te parle d’un lointain royaume où vivaient un roi, qui avait une fille endormie et que seul un Prince charmant pourrait réveiller un jour en lui donnant un baiser. Puis, tout à coup, il t’embarque dans son dessin. Il étale une feuille devant lui, remue l’un de ses fascinants pinceaux dans un godet après l’avoir humecté d’eau et toi, tu demeures coi devant tout ce qu’il est possible de faire avec juste un peu de flotte et quelques pigments de couleur. Et pendant ce temps-là, il continue de te parler, Michel. Il te cause de l’ombre commun, un poisson fantasque et facétieux qu’on trouve surtout dans les cours d’eau de Franche-Comté tels que la Loue, avec une très grande dorsale. Il t’explique ensuite comment il joue avec le blanc du papier pour composer son aquarelle. Il t’apprend aussi des mots, celui de « feston » par exemple, qui désigne le processus au cours duquel l’eau entraîne le pigment avant de l’éjecter sur les bords ou comment la couleur se diffuse dans l’eau dont le papier est imprégné.
Il te livre surtout une philosophie de la vie. Car derrière ses « histoires d’eau », à la fois « créatrice » et « complice », il devient question d’utiliser « les accidents surprenants » créés par l’eau et de suggérer à celui qui regarde l’image que tu voudrais qu’il voit, ce qui suppose une commune humanité entre celui qui peint et celui qui observe. Une philosophie qui loin de te casser la tête, te la vide, dans le noble sens du terme, avant de la remplir de pensées qui, peut-être parce qu’elles naissent de la douceur d’une aquarelle, ont presque la saveur d’un songe d’une nuit d’été et la douceur envoutante d’un conte de fées.
Le Moucheur masqué
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