En plein cœur du Parc naturel régional du Morvan, L’Ephémère de Bourgogne est un site qui a le privilège, entre autres choses, d’être bien entouré. Parmi ses éminents voisins, celui qui n’est pas seulement un Vulcain morvandiau mais ce qu’il faut bien appeler l’Eric Clapton du couteau Damas : Philippe Soeuvre, de la Forge du Morvan. Petit portrait, réalisé par Le Moucheur Masqué.
(à g., Eric Bouteiller ; à d., Philippe Soeuvre)
Le bien nommé Philippe Soeuvre (dans son nom, il y a le joli mot d’ « œuvre ») est ce que l’on qualifier d’enfant du pays. Né en août 1968, il est originaire de Quarré-les-Tombes, une commune- à cheval sur l’Yonne, la Nièvre et la Côte d’Or, et connue pour ses gaufres, pour lesquelles des flots de pèlerins d’un genre très spécial débarquent en flux continu tout au long de l’année, depuis des lustres.
S’il est forgeron, ce n’est pas par tradition familiale. Ses parents étaient tous les deux professeurs de l’Éducation nationale, un métier moins connu pour sa dimension manuelle que didactique. Philippe, lui, après une scolarité classique, a préparé un BTS de technico-commercial, qu’il a obtenu haut la main. Celui-ci en poche, il a d’abord travaillé dans l’industrie. Assez loin de chez lui. Une expérience pas complètement concluante puisqu’il est revenu à Quarré-les-Tombes et a opéré un virage à 180 degrés.
De retour au pays, il lui a fallu faire chauffer la marmite. Un emploi dans la ferronnerie et la forge, chez un artisan personnel, venait de se libérer. Il n’y connaissait rien mais il a postulé et a été recruté. Il a appris sur le tas. Durant les six ans qu’il a été salarié. Pour le coup, c’est bien en forgeant qu’il est devenu forgeron !
Il s’est ensuite installé à son compte. En 2002. Sous le nom des Forges du Morvan. Comme c’est un « métier à nomenclature », il a suivi une formation à Dijon chez un maître en ferronnerie d’art, plus exactement en coutellerie. Puis il a goûté aux joies de l’administration, des dossiers qu’il faut remplir pour prouver qu’on existe, qu’on sait faire, qu’on a des « équivalences ».
Un authentique artisan…
Selon Philippe, le travail de forgeron n’a pas beaucoup évolué depuis les Celtes. D’aucuns pourraient prendre cette considération pour condescendante à l’égard de ce peuple dont on retrouve l’influence, aujourd’hui encore, en Belgique, en France, en Grande-Bretagne, notamment en Irlande. Elle ne l’est pas. Quand il évoque les Celtes, Philippe a les yeux qui pétillent, les muscles du visage qui se détendent pour esquisser une sorte d’expression béate et de la joie dans la voix. A l’écouter, les Celtes, c’étaient « des balaises », au sens propre (des tas de muscles à la Cétautomatix dans les aventures d’Astérix le Gaulois) comme au sens figuré (des génies du fer, du métal, du feu). De façon basique, ils travaillaient au marteau et à l’enclume, ce qui suppose d’avoir des bras plutôt que du chocolat. Mais ils ont aussi inventé un tas de procédés pour chauffer à très haute température le métal. Des procédés tellement pointus qu’on ne les a qu’à peine améliorés en plus de deux milles ans et seulement à la marge, si l’on y réfléchit bien.
Une fois installé en entreprise individuelle, Philippe a commencé à travailler. Tout seul. Il a ensuite embauché un premier salarié, puis un deuxième. Il a alors construit le bâtiment dans lequel il travaille aujourd’hui.
Au début, et pendant longtemps, il a pris tout ce qui venait. C’est ce qui lui a permis de se développer, et d’assurer le salaire de « ses gars ». Ceux-ci ayant par la suite souhaité donner un nouveau tour à leurs carrières professionnelles respectives, ils sont partis voguer vers d’autres aventures.
… doublé d’un véritable artiste
Désormais, Philippe travaille seul. Il a délaissé la ferronnerie pour se concentrer sur ce qui est sa passion et un domaine pour lequel il faut convenir qu’il a « un incroyable talent » : la coutellerie. Mais s’il est doué, Philippe, c’est selon la définition que donnait du don Georges Brassens dans Le mauvais sujet repenti, quand celui-ci disait que « sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie ». De la technique, Philippe en a. Et c’est en bossant des heures et des heures, en remettant sans arrêt l’ouvrage sur le métier, ceci des années durant, qu’il l’a acquise. Pas par magie. Pas autrement.
Se focalisant donc sur sa passion, la coutellerie et le couteau, Philippe se fait désormais plaisir. D’abord parce que « la coutellerie, ce n’est pas lassant », mais parce qu’aussi cela suppose de travailler des matériaux nobles, d’utiliser les techniques de quatre ou cinq métiers différentes (mécanique, etc.) et, surtout, que ça ne cesse pas de le surprendre et de le faire phosphorer.
Car n’en déplaise à ceux qui seraient tenté de croire que c’est simple à fabriquer un couteau, ce n’est pas le cas. C’est simple en Chine, avec la fiabilité et la durée que l’on sait… Pas avec Philippe et les artistes de sa trempe. Il y a, avant même d’entamer le travail des matériaux et l’assemblage, tout un travail de conception. Que Philippe accomplit au calme, dans une sorte de boudoir à part, dans lequel, il gamberge en écoutant de la musique pour se donner du cœur à l’ouvrage. Et pas n’importe quelle musique : la Grande, celle qu’on appelle improprement « classique », violoneuse et clavecineuse, mais aussi celle sans laquelle le Rock n’aurait jamais vu le jour : le Blues, ce « son » sculpté jadis dans le silence des champs de coton du Sud des Etats-Unis d’Amérique par les esclaves noirs. Celui du Delta, mais aussi celui, plus proche de nous, de Clapton. Celui de BB King et celui qui a inspiré le Let It Bleed des Rolling Stones, assurément le plus bluesy de tous leurs albums.
Quand il conçoit ses couteaux, Philippe écoute donc de la musique. Et quand on voit le résultat de ses méditations, ça se devine que la musique, chez lui, ne fait pas qu’adoucir les mœurs mais l’inspire. D’ailleurs, si tu parles un peu avec Philippe, tu comprends que ça lui aurait bien dit de devenir un virtuose de la gratte, un Jimi Hendrix ou un Jimmy Page. Qu’il y a un truc indicible entre la musique et lui.
S’il n’est pas devenu Van Halen, Gary Moore, Carlos Santana ou Joe Satriani, en matière de couteau, en revanche, il est devenu dans l’équivalent d’un Guitar Heroe. En effet, c’est un virtuose en son art, Philippe. Pas seulement parce qu’il est un authentique Maître artisan, au sens de la Chambre des métiers et de l’artisanat, et s’est vu attribué le label EPV, un label officiel français, créé en 2005, délivré sous l'autorité du ministère de l'Économie et des Finances, afin de distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels jugés comme d'excellence. Parce qu’il a également été récompensé deux années d’affilée, en 2013 et 2014, à Thiers, et en 2017 a terminé deuxième de Coutellia, le festival international du couteau d’art et de tradition (Lire ICI), qui se tient dans cette plaque tournante du couteau qu’est cette ville du Puy-de-Dôme (63). Bref, parce que c’est une pointure reconnue par ses pairs, les Maîtres qui, en matière de couteau, savent y faire.
Sur le chemin du Damas, les collectionneurs rencontrent Philippe Soeuvre
La spécialité de Philippe Soeuvre en matière de couteau ? Le Damas, qu’il soit feuilleté́, mosaïque ou figuratif.
Ses couteaux, comme tous les couteaux Damas, se distinguent notamment par une précision de coupe incomparable, une dureté de l'acier bien supérieur et une finition qui donne la légitime envie de parler d’œuvre d'art. Et par leurs petits noms : celui d’une rivière (« Le Trinquelin »), d’une personnalité (« Le Vauban ») ou d’une commune (« Le Saint-Agnan ») du Morvan.
Son acier Damassé, à Philippe, est évidemment une composition très personnelle, de plusieurs couches d'aciers différents qui seront ensuite forgées ensemble afin de donner une lame parfaitement homogène. Cette combinaison de couches se distingue très facilement sur ses lames. Lors du processus de fabrication, les défauts et les corps étrangers de l'acier sont évidemment repartis sur l'ensemble de la lame, renforçant ainsi la structure même du couteau. De plus, lors de sa fabrication, la lame absorbe une grande qualité de carbone provenant des flammes, offrant ainsi au couteau une plus grande dureté.
Comme on peut le voir sur les photos qui accompagnent ce texte, ses couteaux de poche Damas rayonnent de style. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont très recherchés par les collectionneurs qui souhaitent sortir du lot en ayant la possibilité d’exposer des couteaux particulièrement originaux, à la fois luxueux, stylés et dont l’apparente simplicité dissimule avec élégance des trésors de complexité.
A l’image de celui qui les crée.
Le Moucheur Masqué
Depuis quelques temps, Philippe Soeuvre organise des stages pour 1 ou 2 personnes passionnées, désireuses d’apprendre à fabriquer eux-même un « petit (couteau) pliant ».
Ces stages durent deux jours. Il faut bien entendu le contacter auparavant pour les suivre.
Cliquer ICI pour en savoir plus
Site de Philippe SOEUVRE : Cliquer ICI
Téléphone : 03 86 32 28 91
L’atelier se situe à :
44 Rue de l’Étang,
89630 Quarré-les-Tombes
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